Fils bien-aimé, proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, encourage mais avec patience et souci d’instruire. (2 Tm 4, 2)

Philippe (@phorterb)

jeudi 13 octobre 2016

Quelle charité, pour quelles pauvretés ?


Les précédents articles de ce blog ont planté le décor : ils ont esquissé une certaine lecture de la morale chrétienne. Pas grand chose de concret donc, tout juste quelques principes généraux de discernement. Mais la vie est dans l’action. Nous serons jugés selon nos actes.
Aller à confesse nous accuser d’avoir parlé de fesses (1) passera au second plan...

Migrant mother - Dorothea Lange (1936
Une des images les plus célèbres de l'histoire de la photographie


L’histoire que nous vivons aujourd’hui est difficile à rapprocher d’événements connus. Une invasion, le terme peut choquer, mais il a été employé par le Saint-Père lui-même, peu suspect de confondre un mot avec un autre. Une invasion d’un genre nouveau, une drôle d’invasion, comme on a pu parler d’une drôle de guerre. C’est une invasion largement consentie, au moins tolérée, parfois suscitée par les pays d’accueil. Pour les marchands, c’est une aubaine. Les migrants, plus ou moins récents, sont prometteurs à la fois de main d’œuvre au rabais et de nouveau marché. Toujours aussi réactif, le commerce s’est déjà adapté : produits alimentaires halal, étiquetages en arabe dans la grande distribution, mode vestimentaire musulmane, activités sportives et de loisirs avec séparation des hommes et des femmes, affichage publicitaire ménageant les prescriptions coraniques… La classe politique ne saurait être en reste. Comment négliger le poids croissant de l’électorat musulman ? Elle décline à l’envi cette nouvelle donne dans la sphère publique, selon les positionnements et les stratégies de communication propres à chacun. De son côté, l’Église officielle se borne à rappeler inlassablement que sa mission est de secourir les plus démunis et qu’elle englobe ses pires ennemis dans son amour universel. Elle a du grain à moudre car, sur la terre de France, des hommes, des femmes, parfois même des enfants, connaissent aujourd’hui souffrance, misère, angoisse et épreuves. Comment y rester insensible ? Mais ces gens ne nous veulent pas tous du bien. La pauvreté n’est pas seulement une détresse, c’est aussi un danger, voire une arme redoutable. De quoi sont capables ceux qui n’ont plus rien à perdre ?


Chacun de nous ― je ne fais pas exception ― entretient les meilleures relations qui soient avec des hommes ou des femmes de confession musulmane. Il s’agit parfois même d’amis chers et estimés, voire de relations familiales. Ce n’est, ni faire injure à ces personnes, ni trahir ces liens, que de se soucier de la montée de l’Islam dans la société française. Certains musulmans, eux-mêmes, partagent cette inquiétude car, mieux que quiconque, ils imaginent bien à quoi ressemblerait une France devenue islamique et ils n’en veulent pas : la perte des libertés, notamment pour les femmes, et la barbarie pour tous. Ne parlons même pas de la mise à sac du patrimoine historique et de la culture classique. D’ores et déjà, les programmes scolaires, sans vergogne, osent travestir outrageusement l’histoire de la France. L’islamisation de la France ne provient pas de ces migrants qui font aujourd’hui la une de l’actualité. Leur arrivée est trop récente pour avoir pu produire tous ses effets. L’islamisme a pour terreau les zones de non droit : ces quartiers qu’on nous défend de stigmatiser. Depuis plus de 30 ans, on refuse de nommer le poison mortel qui y fermente. Dans cette affaire, le risque d’attentat, qu’on ne peut oublier, n’est au fond que la partie émergée de l’iceberg. Moulte bons apôtres veulent faire croire que ces risques ne sont que le fruit d’une construction idéologique et sont imaginaires. Un tel aveuglement relève au mieux de l’inconscience et au pire de la mauvaise foi ou de la manipulation. C’est la voix de ceux qui, à la fin des années 30, disaient que Hitler n’avait au fond pas de mauvaises intentions. J’entends aussi les encouragements (2) du Saint-Père pour qui l’Europe a toujours su se surmonter elle-même, aller de l’avant pour se trouver ensuite comme agrandie par l’échange entre les cultures. À la rigueur, que nous ayons, pour des raisons humanitaires ou par charité, le devoir moral d’accepter de prendre notre part de risque est une recommandation recevable, même si elle reste sujette à débat. Les moines de Tibhirine sont morts dans cet état d’esprit comme, plus récemment, le Père Jacques Hamel. Et Jésus, bien avant eux !


Il faut donner aux pauvres : injonction fondamentale, permanente, culpabilisante, rappelée par chaque mendiant que nous croisons dans la rue, exacerbée par une presse qui fait profession de nous apitoyer, mais surtout proclamée par l’Évangile. Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un prend ton manteau, ne l'empêche pas de prendre encore ta tunique. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas ton bien à celui qui s'en empare. (Luc 6, 27-30)
Une lecture littérale de la Parole de Dieu fait peser sur nous un devoir de charité et de renoncement absolu, sans limite, à l’image de la Passion de Jésus. Le simple privilège de dormir dans un lit, d’avoir l’eau courante et des toilettes privatives, suffit à me rendre coupable d’accaparer des ressources dont devraient bénéficier, en priorité, les plus pauvres. Il n’est heureusement pas certain que cette lecture fondamentaliste des Saintes Écritures soit pertinente. Le simple bon sens suggère que, dans la vie courante, des limites pratiques doivent bien exister. Situer ces limites est, il est vrai, extrêmement difficile. L’interprétation de la Bible par les exégètes devrait pouvoir éclairer ce débat mais on s’y perd hélas comme dans un puits sans fond. Que nous soyons savant ou simple paroissien de base tel que moi, le brouhaha historico-critique ne nous éclaire pas beaucoup. C’est encore et toujours sur nous seuls que le discernement retombe. C’est chacun en son âme et conscience et sous sa propre responsabilité. C’est inéluctable.


Durant la dernière guerre mondiale, la maison de mes parents accueillait des juifs et des maquisards pourchassés par les allemands ou les miliciens. Pourquoi ma maison d’aujourd’hui est-elle moins ouverte à la détresse que celle d’hier ? La première idée qui vient à l’esprit est hélas que ma nature est sûrement moins généreuse et courageuse que ne l’était celle de mes parents. C’est sans doute vrai. Mais ce n’est pas l’unique explication car les deux cas diffèrent sur deux points essentiels.
  • Première différence de taille : les malheureux d'aujourd'hui ne sont pas menacés de mort comme l’étaient ceux d’hier. À n’en pas douter, ils sont en difficulté et exposés aux dangers de la rue, mais nul ne songe à s’en prendre directement à leur vie.
  • Deuxième différence importante : les risques de la solidarité. L’adresse de mes parents aurait fort bien pu être découverte dans les tablettes du réseau FFI auquel ils participaient. Un danger quotidien et mortel planait donc sur eux. En contrepartie, ils n’avaient absolument rien à craindre des personnes qu’ils hébergeaient chez eux. Celles-ci venaient par l’intermédiaire du réseau, elles étaient donc connues. Les fugitifs étaient soucieux de cacher leur présence et par là-même discrets. Ils étaient, par définition, dans le camp de mes parents et partageaient les mêmes valeurs. Si j’ouvrais aujourd’hui les portes de ma maison, qui pourrait bien m’offrir des garanties comparables ? Beaucoup à n’en pas douter, mais pourrais-je leur faire vraiment confiance ?


Le grand défi de la charité est aujourd’hui d’apprécier nos objectifs humanitaires tout autant que les menaces qui y sont associées. Cela s’entend non seulement au plan individuel mais surtout au plan sociétal. Nous serons jugés aussi sur ce que nous aurons fait pour préserver notre prochain de la barbarie qui vient. Ceux qui avaient tenté hier de soustraire leur prochain à la barbarie nazie ont été reconnus justes de cette manière.


Habillement féminin à Kaboul dans les années 1970
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(1) - D'après G. Brassens - Le pornographe (1958)
(2) - Huffington post - 2 mars 2016




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